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Tu es si belle

Tu es si belle

La narratrice, Jeanne (14 ans) reçoit un message mystérieux de sa sœur Flora (18 ans) : « Je te libère de notre secret ». Son intuition lui dit que c’est important, elle se rend alors au studio où vit sa sœur pour s’assurer que tout va bien : là-bas, elle découvre Flora étendue sur son lit. Elle a avalé beaucoup de médicaments et a écrit sur le mur avec son propre sang « Tu es si belle »...

Tu es si belle / Eva Kavian
Oskar,
46 p. – 2019 . -  9,95 €   ISBN 979-1021406919

Quand le secret explose…

La narratrice, Jeanne (14 ans) reçoit un message mystérieux de sa sœur Flora (18 ans) : « Je te libère de notre secret ». Son intuition lui dit que c’est important, elle se rend alors au studio où vit sa sœur pour s’assurer que tout va bien : là-bas, elle découvre Flora étendue sur son lit. Elle a avalé beaucoup de médicaments et a écrit sur le mur avec son propre sang « Tu es si belle ».

Après avoir appelé une ambulance, envoyé Flora et sa mère aux soins intensifs et nettoyé le studio, Jeanne se retrouve seule dans son appartement. Les souvenirs affluent, violents : elle se remémore une scène surprise quatre ans plus tôt entre Flora et David, l’ex-compagnon de leur mère. Soudain, tous les comportements de sa sœur ces dernières années prennent sens : elle a été abusée par David. Pourquoi n’a-t-elle pas compris plus tôt la gravité des événements ? Pourquoi n’en a-t-elle pas parlé à un adulte ?

Si elle me libérait, c’est qu’elle me pensait prisonnière, mais non. Je n’étais pas prisonnière. Je ne le vivais pas ainsi. C’est plutôt notre secret qui était prisonnier, puisque je l’avais comme oublié. Je dis « comme » car ce n’est pas un oubli habituel, une distraction ou un problème de mémoire. Ce n’est pas un souvenir perdu ou rendu approximatif au fil des ans. J’avais vécu ce moment, et il s’était effacé, assez rapidement sans doute, car je n’ai pas non plus d’images des jours qui l’ont suivi mais, à l’instant où je me suis demandé de quoi elle parlait, je l’ai su. Je suis redevenue la petite fille de dix ans. Jure-le-moi ! Jure-le-moi que tu ne diras rien à maman, sinon je ne te parle plus jamais ! C’était peut-être la seule solution, pour l’enfant de dix ans que j’étais, d’effacer les images, plutôt que de te mentir, ou de ne rien te dire.

Bouleversée par les événements, Jeanne n’entrevoit qu’une solution pour donner sens à l’insensé et pour rendre supportable l’attente des nouvelles de sa sœur : elle écrit une lettre à sa mère où elle raconte ce qu’elle a vu quatre ans plus tôt et ce qu’elle ressent maintenant (« David a abusé de Flo, et c’est seulement aujourd’hui que cette phrase arrive « au complet » dans mon cerveau stupide. »).

Avec Tu es si belle, Eva Kavian nous livre un récit poignant d’une grande justesse sur le caractère destructeur du secret malgré la volonté de bien faire qui se cache parfois derrière le silence.

Je me souviens très bien de tes robes qui dansaient sur tes jambes, du parfum qui restait dans la pièce que tu quittais. Nous avons aimé David parce qu’il t’aimait, nous l’avons aimé parce qu’il te rendait belle et que, depuis que tu souriais à nouveau, nous pouvions être des enfants normaux. Maman est si heureuse. Jure-le-moi ! Jure-le-moi que tu ne diras rien à maman, sinon je ne te parle plus jamais !


Lorsqu’on est enfant, il n’est pas facile de prendre tout de suite conscience de la gravité d’un événement de quelques secondes. Il y a aussi la peur de parler à un adulte, la peur de ne pas être crédible. Il y a également la culpabilité d’avoir tu un événement qui a détruit plus qu’on ne le croyait la vie d’un proche.

Oh, maman, j’ai envie que tu sois là, je n’en peux plus de pleurer toute seule depuis mon réveil, je comprends Flo, qui voulait se faire du mal parce que maintenant, moi aussi, je suis laide, moi aussi, je me déteste, moi aussi, je ne vaux plus la peine, moi aussi, je suis sale, d’avoir vu ce que j’ai vu et de le comprendre enfin, moi aussi, j’ai voulu te protéger, nous protéger, et mon silence a tracé ma faute en lettres rouges. J’ai oublié, je n’ai pas compris, je n’ai pas voulu voir, tu y crois, à ça ? Et pendant toutes ces années, avec moi dans sa chambre et puis dans son studio, Flo a été seule. Infiniment seule. Je veux qu’elle vive et qu’elle ne soit plus jamais seule.


Tu es si belle
est un roman pour la jeunesse très court, mais qui aborde avec finesse un thème délicat qui ne peut laisser indifférent. On tremble pour Jeanne en espérant qu’elle osera donner sa lettre à sa mère et lui révéler l’innommable qu’a vécu sa sœur, on tremble pour Flora en espérant qu’elle survivra car si tel n’est pas le cas, personne ne s’en sortira vraiment vivant. Un récit dur et bouleversant qui met en avant un sujet encore trop tabou ! (Séverine Radoux)

Paru dans le blog du Carnet et les instants du 29/1/2020