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L’ours Kintsugi

L’ours Kintsugi

Grosses pattes, longues griffes, pelage brun. Sans conteste, Kintsugi est un bel ours, grand et fort. Un brin aventureux aussi, et peut-être trop orgueilleux. Un jour, parce qu’il aime être admiré dans son audace et qu’il se délecte des chatouilles du vent entre ses orteils, il s’approche tout au bord d’une haute montagne. Mais Éole, d’humeur chagrine, souffle si fort sur son dos qu’il est précipité dans une chute qui « dure tellement longtemps qu’il a le temps de penser à mille choses...

L’ours Kintsugi / texte de Victoire de Changy et illustrations de Marine Schneider
Cambourakis
n.p. – 2019 . - 16 €   ISBN 9782366244311

Un coup de cœur du Carnet

Faire peau mieux que neuve

Grosses pattes, longues griffes, pelage brun. Sans conteste, Kintsugi est un bel ours, grand et fort. Un brin aventureux aussi, et peut-être trop orgueilleux. Un jour, parce qu’il aime être admiré dans son audace et qu’il se délecte des chatouilles du vent entre ses orteils, il s’approche tout au bord d’une haute montagne. Mais Éole, d’humeur chagrine, souffle si fort sur son dos qu’il est précipité dans une chute qui « dure tellement longtemps qu’il a le temps de penser à mille choses. Il se dit qu’il a les poils décoiffés. Il se dit qu’il a un peu froid. Il se dit qu’il l’a un peu cherché. Il se dit qu’il recommencera. Il se dit que peut-être en bas, pour l’accueillir, il y aura des bras ».

Les éraflures, les boursouflures, les fêlures et autres écorchures parsèment notre corps, et notre âme. Une fois refermées – il faut parfois du temps, il faut parfois de l’aide –, ces blessures deviennent des cicatrices. Disgracieuses ou invisibles, elles resteront. Il est toutefois possible de les rehausser du fil d’or de l’acception, et de les rendre belles à nos yeux comme elles peuvent l’apparaître à ceux d’autrui… C’est la leçon que Kintsugi et la fillette Kaori découvrent ensemble. Une brindille rongée, un cheveu de sa poupée et sa bienveillance pour uniques ressources, la petite humaine va tenter de soigner l’animal meurtri et de l’amener à se transformer en un « ours-bijou, un ours-très-précieux ». Sa patience et sa résolution viendront-elles à bout des réticences de l’ursidé humilié ?

L’univers pictural de L’Ours Kintsugi est pure poésie. Chaque page tournée ouvre sur un tableau dans lequel des nuages s’enchevêtrent cotonneusement, des serpents vermeil fendent des eaux claires ou aux bulles savonneuses, un baluchon prend les contours d’un cœur, la végétation terrestre se propage en algues translucides, des buissons de roses blessent et protègent, un kimono immaculé se tache de coccinelles de sang… Marine Schneider charme définitivement par son audace spatiale, son intelligence de la composition, ses couleurs intenses, son trait rond, sa sobriété élégamment texturée. Ses coups de pinceaux donnent corps aux mots choisis de Victoire de Changy, ceux qui racontent la vie, où avec douceur et application, chaleur et bienveillance, certains traumatismes se surmontent et nous rendent particuliers. Comme dans la méthode de réparation de porcelaines et de céramiques japonaise – le 金継ぎ (kintsugi) –, où l’objet ainsi restauré « sera considéré comme plus précieux, avec davantage de valeur, qu’un objet neuf ». L’Ours Kintsugi, un conte magnifique pour apprendre à faire peau mieux que neuve…(Samia Hammami)

Paru dans le blog du Carnet et les instants du 3/2/2020