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Tu t’appelleras Lapin

Tu t’appelleras Lapin

L’univers de Marine Schneider se pelotonne dans un fantastique mystérieux. Cette artiste crée des albums atmosphériques qui surprennent et intriguent. Son trait se fait épuré et expressif quand elle envisage certains personnages, alors que sa technique se ramifie au moment de représenter la nature. Effets d’aquarelle et de pastel, rehaussements de contours, texture en superpositions, perspectives recalibrées, variations autour des verts et du saumon…

Tu t’appelleras Lapin / Marine Schneider
Versant Sud
n.p. - 2020. - 14 €, ISBN 978-2-930938-24-0

Belette et Lapin
Un coup de cœur du Carnet

L’univers de Marine Schneider se pelotonne dans un fantastique mystérieux. Cette artiste crée des albums atmosphériques qui surprennent et intriguent. Son trait se fait épuré et expressif quand elle envisage certains personnages, alors que sa technique se ramifie au moment de représenter la nature. Effets d’aquarelle et de pastel, rehaussements de contours, texture en superpositions, perspectives recalibrées, variations autour des verts et du saumon… Par touches, aplats, traits et nuages, Marine Schneider compose avec sensibilité un imaginaire dense, silencieux et accueillant qui suscite une irrésistible envie de le pénétrer.

« Personne ne sait exactement quand cette histoire a commencé. C’était sûrement la nuit. En tout cas, personne n’a rien vu, personne ne l’a vu arriver. » Pourtant, un matin, il était là, au milieu du village, à l’endroit où il y avait avant « le terrain de foot, la prairie du papa de Joseph et le champ de betteraves ». Immense (4725 centimètres !), massif, blanc et inerte. Plongé dans un profond sommeil (peut-être le même que celui du Dormeur du Val…), il semble se reposer, sans bouger ni patte ni oreille. Qui est-il ? D’où vient-il ? Comment est-il arrivé là ? Combien de temps restera-t-il ? Que veut-il ? La présence de cet être n’est qu’absence de certitudes. Heureusement pour lui, c’est Belette qui l’a découvert, alors qu’elle était  sortie chercher des champignons et du bois, et qui, avec détermination, l’a baptisé par ces simples paroles : Tu t’appelleras Lapin.

Belette, c’est une fillette de sept ans qui habite sans personne un peu en-dehors du village et qui prend soin d’elle comme une grande. Si elle a approché Lapin ce matin-là, après une première réaction de recul, c’est parce qu’elle « […] dit toujours que quand on vit toute seule, on ne peut pas avoir peur ». Elle a donc bravé ses appréhensions et enveloppé Lapin de sa curiosité et de son attention. Quand les parents de ses amis ont constaté l’existence de cet étranger « encombrant, peut-être dangereux », après concertation entre adultes, ils ont conjugué leurs efforts afin de déplacer, de cacher, d’enterrer, bref de faire disparaître Lapin. Les enfants, au contraire, se sont habitués à lui et l’ont vite intégré à leur quotidien : « Elliott, Alaska, Joseph, Titus, Paula, tout avaient adopté Lapin, leur animal-montagne. Tantôt toboggan, observatoire, tantôt terrain de jeu d’une partie de cache-cache. Ils lui tressaient les poils, lui racontaient des histoires, le réchauffaient avec un feu. » Tout en se demandant s’il se réveillera un jour…

Marine Schneider effleure de sa plume et de ses mots un questionnement éminemment humain : quel est notre rapport à l’étranger, à l’inconnu, à l’inattendu ? Comment appréhendons-nous le changement ? Et quelles traces laisse-t-il en nous ? Le déni, la résistance, l’adaptation, le rejet, l’acceptation et le dépassement sont autant de réactions face aux modifications, quelles qu’elles soient, qui émaillent notre existence. C’est entre autres ce que la talentueuse autrice-illustratrice met en lumière (et ombre) dans Tu t’appelleras Lapin, une fable à la magie persistante… (Samia Hammami)

Cette critique est parue précédemment sur le blog du Carnet et les Instants. Une vidéo invite à une rencontre avec Marine Schneider.