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Le crayon

Le crayon

Devant un album « sans texte » quand les illustrations sont donc seules à porter le récit, il nous arrive – nous adultes – d’être décontenancés, tant est grande notre habitude à nous appuyer sur les mots. Ce n’est pas pareil pour les enfants. Sans doute conservent-ils le souvenir d’avoir «lu » des images avant de savoir lire. Mais il est vrai que les mots ont quelque chose de péremptoire, d’objectif, autrement dit de sécurisant. Un album tout en images peut changer de sens à chaque lecture, selon l’âge, l’expérience de vie, l’état d’esprit, du lecteur ou de la lectrice...

Le crayon / Hye-Eun Kim (Corée)
CotCotCot
n.p. – 2022 . – 18€   ISBN 978-2-930941-47-9

Devant un album « sans texte » quand les illustrations sont donc seules à porter le récit, il nous arrive – nous adultes – d’être décontenancés, tant est grande notre habitude à nous appuyer sur les mots. Ce n’est pas pareil pour les enfants. Sans doute conservent-ils le souvenir d’avoir «lu » des images avant de savoir lire. Mais il est vrai que les mots ont quelque chose de péremptoire, d’objectif, autrement dit de sécurisant. Un album tout en images peut changer de sens à chaque lecture, selon l’âge, l’expérience de vie, l’état d’esprit, du lecteur ou de la lectrice. C’est le cas ici où le seul mot de l’album est son titre ! Le crayon s’est ménagé une petite place sur la couverture, au sein d’une forêt multicolore survolée par des oiseaux et que parcourent lièvres, renards et sangliers. Sur la page de garde, en dessous du titre, un crayon est déjà là, intact, non encore taillé : de couleur verte sa mine est noire. Mais voici qu’intervient le cutter qui lui affine une pointe ! Des copeaux de bois vert s’en échappent pareils à des larmes. Larmes ou feuilles d’arbres ? En tous cas, en se posant sur les branches d’un arbrisseau, elles « l’habillent » et semblent l’aider à grandir. Sur les pages suivantes, la vision s’élargit, le petit arbre s’épanouit au milieu d’une forêt qui devient luxuriante. Jusqu’à cet événement qui fait s’envoler les oiseaux : la tronçonneuse est à l’œuvre ! Les arbres couchés sont emportés vers la ville jusqu’à l’usine dont les cheminées crachent leurs fumées.
Les symboles sont forts et affirmés : la nature n’est que couleurs et luxuriance, l’action des hommes n’apporte que grisaille et pollution. Sauf que l’espoir subsiste : les machines fabriquent des crayons pimpants, la papeterie qui les vend est un endroit lumineux, la petite fille qui s’en choisit un – de couleur verte évidement – est pleine de projets. C’est elle qui va imaginer, dessiner, faire naître des arbres nouveaux, coucher ses rêves sur le papier blanc. Une fin qui, de toute évidence, ouvre la porte à une multitude de questions et d’échanges. Et c’est le grand mérite de cet album ancré à hauteur d’enfant et dépourvu d’arrière-pensée moralisatrice. Suivre, de manière poétique, le trajet d’un crayon, sans occulter les manœuvres destructrices que sa fabrication nécessite est particulièrement bienvenu. Sans oublier que le crayon est par excellence l’arme dont disposent les artistes pour exprimer leur attachement à une cause – la nature dans ce cas-ci – et par conséquent pour tenter de la défendre. (Maggy Rayet)