|

La maison rouge

La maison rouge

Quelle bonne idée que de donner la parole à cette maison rouge qui nous raconte sa vie en « je ». Elle vibre aux moindres va-et-vient de la famille qui a emménagé chez elle. En quelques phrases courtes glissées dans des doubles pages (à l’exception, et ce n’est pas innocent, de la première et de la dernière) qui explosent de couleurs chaudes et vivantes, elle évoque les moindres odeurs, bruits et mouvements du père, de la mère et de leurs trois enfants. Un lien intime se crée entre elle et ses habitant.e.s : « Ma famille m’aimait...

La maison rouge / Texte de Colleen Rowan Kosinski (États-Unis) ; illustrations de Valeria Docampo (Argentine) ; traduction d’Anne Cohen Beucher
Alice jeunesse
n.p. – 2023 . - 15€   ISBN 978-2-874-265204

Quelle bonne idée que de donner la parole à cette maison rouge qui nous raconte sa vie en « je ». Elle vibre aux moindres va-et-vient de la famille qui a emménagé chez elle. En quelques phrases courtes glissées dans des doubles pages (à l’exception, et ce n’est pas innocent, de la première et de la dernière) qui explosent de couleurs chaudes et vivantes, elle évoque les moindres odeurs, bruits et mouvements du père, de la mère et de leurs trois enfants. Un lien intime se crée entre elle et ses habitant.e.s : « Ma famille m’aimait. J’aimais ma famille. J’étais plus qu’une maison. J’étais leur maison. » Quand on dit qu’une maison a une âme, ce n’est pas un vain mot. Jusqu’au jour où, pour une raison inconnue, cette famille déménage et vide les lieux. Effarée, déçue, au comble de la tristesse, la maison va multiplier les incidents pour empêcher toute nouvelle venue. Oui, les murs captent nos énergies, bonnes ou mauvaises. L’émotion pointe face à ce personnage inhabituel qui se sent abandonné. Mais un couple d’hommes, accompagné d’un chien on ne peut plus discret, survient et ne se laisse pas démonter par les inconvénients d’un habitat laissé quelque temps à l’abandon. Débordant d’énergie et d’enthousiasme, le couple redonne vie aux lieux et l’arrivée d’une petite fille achève de convaincre la maison rouge qu’elle a retrouvé une famille, une autre famille, une famille autre. Sans en avoir l’air et sans alourdir le propos, cet album traduit le cycle de la vie et s’inscrit dans une modernité bienvenue en mettant en scène deux modèles familiaux différents, par le biais astucieux d’un ou plutôt d’une narratrice inhabituelle.
D’emblée, la couverture annonce la couleur : équilibre de la composition, jeu d’ombres et de lumières, fenêtres ouvertes sur un intérieur esquissé, présence discrète d’une fillette face à une demeure et des arbres qui s’imposent dans le tableau. Car c’est bien de peinture qu’il s’agit et celles de cet album rappellent l’œuvre du peintre américain Edward Hopper (1882-1967). La suite est à l’avenant avec des plongées et contre-plongées, des luminosités estivales qui éclaboussent les intérieures de la maison et ses décors vintage, les contrastes entre le jour et la nuit, entre nature et architecture. Les mises en scène sont très travaillées, comme suffit à nous en convaincre la comparaison entre la première page et la dernière page : d’un côté, un hall d’entrée vide, de l’autre le même hall « habité » par des objets du quotidien d’une famille. Valeria Docampo nous offre ici une vraie signature graphique qui sert intelligemment le propos de Colleen Rowan Kosinski.  (Michel Torrekens – journaliste au Ligueur)