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Biotanistes

Biotanistes

Discriminations liées au genre, écocide, manipulations du pouvoir et de l’information, importance de la mémoire et de la transmission : l’énumération des thèmes brassés dans ce premier roman peut faire peur. Pourtant, avec Biotanistes, Anne-Sophie Devriese évite l’écueil d’une littérature donneuse de leçons. Mieux : elle signe un roman-univers dont le lecteur met du temps à revenir même si, paradoxalement peut-être, il nous ramène sans cesse au présent...

Biotanistes / Anne-Sophie Devriese
ActuSF
350 p. - 2021 . - 19.90 € ISBN 978-2-37686-349-6

De la fantasy qui questionne le présent
Un coup de cœur du Carnet

Discriminations liées au genre, écocide, manipulations du pouvoir et de l’information, importance de la mémoire et de la transmission : l’énumération des thèmes brassés dans ce premier roman peut faire peur. Pourtant, avec Biotanistes, Anne-Sophie Devriese évite l’écueil d’une littérature donneuse de leçons. Mieux : elle signe un roman-univers dont le lecteur met du temps à revenir même si, paradoxalement peut-être, il nous ramène sans cesse au présent.

Un fléau a décimé la planète. Les arbres, les animaux et les rivières ne sont plus que de lointains souvenirs et les survivants ont trouvé refuge dans des cités, en plein désert. Les individus mâles que le fléau a épargnés sont réduits au rang d’esclaves ou de reproducteurs. Le pouvoir est l’affaire des femmes, surtout celles qu’on nomme les sorcières : elles seules semblent capables d’assurer la survie de l’humanité, notamment parce qu’elles peuvent voyager dans le passé. Recueillie par le barde Ulysse, un des rares hommes que les sorcières tolèrent, la jeune Rim se prépare à son premier saut dans le temps.

L’intrigue de Biotanistes est passionnante et l’autrice parvient à faire exister un monde particulièrement riche, familier et désarçonnant à la fois. On s’y plonge avec bonheur, un peu comme Rim arpente en frémissant les venelles du Barrio, ce quartier éloigné du convent où vivent les sœurs. Si le Barrio est dangereux, le convent abrite bien des rivalités et des trahisons. Pas d’angélisme ici, ni de sororité idéale : une fois éradiquée la masculinité toxique, l’adelphité reste à construire.

Engagée, cette fiction n’est jamais bavarde ou pesante. Anne-Sophie Devriese n’a nul besoin de recourir aux digressions explicatives pour poser les enjeux sociétaux dans ce monde de l’après, l’histoire suffit. Et la gravité des thèmes abordés n’empêche pas les sourires. Ainsi, Rim confesse sa sidération au barde lorsqu’il prétend qu’avant, les hommes portaient eux aussi l’épée… du moins dans les contes !
Et si je te disais qu’elle est tellement vieille qu’à l’origine, Barbe Bleue était un homme ?
Elle ouvrit des yeux ronds.
– Difficile à imaginer. Cela veut dire qu’à la fin, ce seraient des… frères avec des… épées ?! conclut-elle, médusée.
Ulysse rit de son étonnement.
– Et pourquoi pas ma gazelle ?
Sa gazelle était plongée dans une intense réflexion.
– Pareil pour Beau et la Bête, Belle et Beau dormant ou Le Petit Chaperon rouge ?
– Absolument !


Enfin, ce roman célèbre magnifiquement les littératures de l’imaginaire. Alors que c’est interdit, les fileuses ramènent de leurs sauts dans le passé des bribes d’histoires, comme autant de trésors nécessaires pour continuer à vivre. Et Anne-Sophie Devriese en profite pour rendre un discret hommage aux auteurs et autrices qui ont nourri son goût pour la fiction.
En exergue de Biotanistes, Anne-Sophie Devriese citait Dominique Bourg : « La fin de ce monde et plus encore les mondes dont elle accouchera, dépendront étroitement des liens que nous parviendrons à tisser et de l’imaginaire que nous réussirons à inventer dans le futur le plus proche. » Les littératures de l’imaginaire ouvrent au lointain et à l’ailleurs, mais puisqu’elles nous parlent du présent et des futurs qui se dessinent, elles sont politiques aussi. Biotanistes en est l’illustration magistrale. (Marc Wilmotte)

Recension parue initialement sur le Blog du Carnet et les Instants