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Ma plus belle ombre

Ma plus belle ombre

Si Yves Klein – qu’elle évoque dans une citation – l’a essentialisé, Gaya Wisniewski, elle, le sublime. Un album tout de bleu, choix audacieux, résultat plein-les-yeux. Chaque page de Ma plus belle ombre touche l’âme tant les illustrations que l’on y découvre s’imposent par leur beauté trempée, leur poésie aquarelle. Entre les dessins et les mots, il n’y a qu’un petit bond à faire dans ce livre car l’un des deux héros du texte de Carl Norac n’est autre qu’un lapin, « poème de profession, partout et nulle part, ça rapporte peu, parfois des ennuis, mais chaque gris ou bleu, [il] invente une musique qui n’est jamais la même »...

Ma plus belle ombre / texte de Carl Norac ; illustrations de Gaya Wisniewski MeMo
n.p. - 2022 . - 18 €   ISBN : 978-2-3528-9517-6

Si Yves Klein – qu’elle évoque dans une citation – l’a essentialisé, Gaya Wisniewski, elle, le sublime. Un album tout de bleu, choix audacieux, résultat plein-les-yeux. Chaque page de Ma plus belle ombre touche l’âme tant les illustrations que l’on y découvre s’imposent par leur beauté trempée, leur poésie aquarelle. Entre les dessins et les mots, il n’y a qu’un petit bond à faire dans ce livre car l’un des deux héros du texte de Carl Norac n’est autre qu’un lapin, « poème de profession, partout et nulle part, ça rapporte peu, parfois des ennuis, mais chaque gris ou bleu, [il] invente une musique qui n’est jamais la même ».

Cet herbivore géant arrive quand on s’y attend moins. Il peut apparaître derrière la narratrice lorsqu’elle s’assied à sa table de dessin et l’observer dans un silence recueilli, comme s’il était « sa plus belle ombre ». Puis il s’en va, sans mot dire. Il peut aussi partager une tasse de thé fumante, apporter des pas perdus ramassés sur la plage, rebondir tel un ballon, s’enquérir des vagues et des oiseaux, s’exprimer par mots-énigmes, et bien souvent laisser tranquille. Dans son univers, il entend rire les carottes aussi sûrement qu’il joue du vélo lors de concerts-promenades. Ses péchés mignons ? Déguster des merveilleux « pour le goût et pour le nom », et lancer des défis d’un « chiche ! » amusé. Un jour, il propose d’ailleurs une aventure à la dessinatrice : « On se donne rendez-vous à cette heure-ci, à un arrêt de tram que tu devras deviner, Grand Chiche ? » Comment résister à une telle invitation ?

Dans Ma plus belle ombre, Norac matérialise le poème d’une plume amusée. Son personnage, tour à tour curieux, attendrissant et agaçant, mais toujours libre, incarne avec singularité ce genre littéraire qui comporte intrinsèquement une part d’insaisissable. Souple et inaccessible, il tient parfois à distance alors que le secret est peut-être tout simplement de le laisser approcher… Wisniewski, par ses traits, ajoute toute la douceur vibrante dont cette « ombre » a besoin et réalise de délicates pages-tableaux. Impossible de ne pas imaginer que, avant de se mettre à la matérialiser, elle a dû, comme leur héroïne, s’asseoir un soir à son bureau et se dire : « Cette ombre, elle est belle. […] À la maison, cette nuit, je vais essayer de la dessiner en bleu. » Et quelle poésie dans ce geste… (Samia Hammami)

(Critique parue précédemment dans le blog du Carnet et les Instants)