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La fille du phare

La fille du phare

Même s’ils se font de plus en plus rares dans la vie réelle, Le phare (et aussi son gardien) restent très présents en littérature Jeunesse. Il suffit à l’auteur ou à l’illustrateur de rester en dehors du temps ou d’installer son propos dans un passé – même indéfini – pour que tout naturellement cette construction protectrice des marins trouve sa place, offrant au récit son potentiel de drame, de dangers, d’éléments déchainés voire de solitude. Ici la jeune héroïne – La fille du phare – vit avec un père handicapé, aigri et même violent depuis la mort de sa femme. Comme cette dernière, sa fille se prénomme Emilia...

La fille du phare / Texte et illustrations d'Annet Schaap (Pays-Bas) ; traduction de Maurice Lomré
L’école des loisirs coll. Médium
366 p. - 2022 . - 17,00 €   ISBN 978-2-211-23954-7

Même s’ils se font de plus en plus rares dans la vie réelle, Le phare (et aussi son gardien) restent très présents en littérature Jeunesse. Il suffit à l’auteur ou à l’illustrateur de rester en dehors du temps ou d’installer son propos dans un passé – même indéfini – pour que tout naturellement cette construction protectrice des marins trouve sa place, offrant au récit son potentiel de drame, de dangers, d’éléments déchainés voire de solitude. Ici la jeune héroïne – La fille du phare – vit avec un père handicapé, aigri et même violent depuis la mort de sa femme. Comme cette dernière, sa fille se prénomme Emilia. Mais pour tout le monde c’est Loupiote. (Une traduction bienvenue du terme Lampje qui est aussi le titre de l’édition originale néerlandaise.) Car c’est elle qui chaque soir se rend tout en haut pour allumer la mèche et remonter le mécanisme actionnant la rotation des lentilles. Et qui chaque matin refait le même chemin pour éteindre la mèche. Or un soir c’est le drame : la boite d’allumettes est vide. Loupiote manque de se noyer en se rendant au village pour en acheter. Elle est sauvée in extremis par d’étranges créatures aux cheveux verts, « qui ondulent dans les vagues » semblables à des algues marines. D’emblée et sans effort, on entre dans un univers magique où non seulement les humains absents ou disparus prennent la parole, mais aussi d’étonnantes créatures marines, mais aussi les objets, mais aussi le vent, les vagues, la mer et les rochers. Est-il besoin de préciser que, cette nuit-là, rochers et falaises resteront sombres et qu’un bateau fera naufrage ? La punition sera terrible pour le père, prisonnier de son phare pour une durée de sept années. Quant à Loupiote, elle  devra travailler dans La Maison Noire, une grande bâtisse située un peu en dehors de la ville dont, selon la rumeur, la tourelle abrite un Monstre.
Ce n’est que la fin de la première partie d’un roman qui se déploie en six mouvements, chacun d’eux ayant sa tonalité et son rythme et aussi son lot de suspense et de découvertes. Oui la tourelle de La Maison Noire est habitée. Mais par qui ? Quant au fil des pages, la réponse nous sera offerte, elle suscitera de nouvelles questions. Sans rien dévoiler de ces mystères, comment dire l’émerveillement qui accompagne la lecture de ce roman qui joue avec le conte ? (Un émerveillement qui doit beaucoup – on oublie souvent de le relever – au talent du traducteur. Un talent que l’on apprécie ici dès l’incipit : « Une presqu’île est une île à peine reliée à la terre ferme, telle une dent de lait qui ne tient plus qu’à un fil ».)

Grâce au choix d’un narrateur omniscient, les personnages que Loupiote est amenée à croiser se retrouvent plus riches et plus complexes. La majorité d’entre eux ne sont ni bons ni mauvais, ils font ce qu’ils peuvent. Mais, à côté d’eux, évoluent quelques belles personnes. Comme Nick, sorte d’homme à tout faire, providentiel locataire d’une cabane dans le jardin de La Maison Noire, qui n’a pas son pareil pour faire entrer des bateaux dans une bouteille. Comme l’épicier Monsieur Rozenhout, qui tente, à chaque rencontre de donner un coup de main à la petite fille ou de la sortir d’un mauvais pas. Par contre entrent en scène aussi des personnages vraiment méchants. En premier lieu l’institutrice, Mademoiselle Amalia. C’est elle qui a imaginé la punition de La Maison Noire. C’est elle qui se trouve toujours au « bon » moment sur le chemin de Loupiote pour la dénoncer. Il y a Monsieur Henri qui exhibe des personnages de Foire, profitant du malheur des gens. Et aussi l’Amiral, redoutable propriétaire de la Maison Noire, prêt à tout, même à sacrifier son propre fils, pour faire faire respecter la norme et la bienséance. Car, au-delà d’une belle histoire, La fille du Phare peut être lu comme un éloge à la différence, aux différences : chacun et chacune excellant dans un domaine si on lui laisse vivre sa vie. (Maggy Rayet)