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Ici et seulement Ici

Ici et seulement Ici

Jour de la rentrée des classes. Jour tant de fois vécu avec appréhension et excitation par des armées de collégiens. Ici, les codes sont fixés sur un grand tableau : à chaque Haut son Bas, à chaque Pair son Impair, appariés pour l’année scolaire à venir, surtout pour le pire. Racket, humiliations, devoirs scolaires en double et triple exemplaires, le Bas, petit nouveau naïf, est corvéable à merci, dévoué à son Haut par contrat tacite, acceptant son sort avec résignation...

Ici et seulement Ici / Christelle Dabos
Gallimard Jeunesse
256 pages, 2023, 15,50 €, ISBN 978-2-07-518789-3

Jour de la rentrée des classes. Jour tant de fois vécu avec appréhension et excitation par des armées de collégiens. Ici, les codes sont fixés sur un grand tableau : à chaque Haut son Bas, à chaque Pair son Impair, appariés pour l’année scolaire à venir, surtout pour le pire. Racket, humiliations, devoirs scolaires en double et triple exemplaires, le Bas, petit nouveau naïf, est corvéable à merci, dévoué à son Haut par contrat tacite, acceptant son sort avec résignation. Au milieu d’entre tous, le Prince, Élu parmi les Élus, narcissique et vil, est vénéré par une communauté sans foi ni loi, censée pourtant être au cœur du système éducatif et pédagogique, celui qui élève vers les valeurs et les savoirs.

D’un chapitre à l’autre, le projecteur orienté par Christelle Dabos met en lumière de jeunes ados aux profils contrastés : Sofie, qui défie les codes et pose un regard sans complaisance sur cette petite société presque pénitentiaire où les profs ont oublié leur autorité. Pierre qui, étrangement, refuse de partager un statut pourtant peu enviable : « Je suis l’impair, le valet de pique, le pouilleux et personne peut me reprendre ça.» Iris, qui littéralement s’efface pour échapper à la culpabilité d’avoir laissé tomber son meilleur ami tout en cherchant désespérément à exister au milieu de ses pairs : « Je fais ce que je fais de mieux : je me tiens à la bonne place, ni trop en avant ni trop en retrait, et je regarde. C’est parce que je regarde que je pige. Je vois ce que mes anciens camarades, Émile inclus, remarquent pas encore. Un trou se forme dans la cour, entre nous et tous les autres. L’année dernière on était les grands ; aujourd’hui nous revoilà les petits. Je regarde. Nous sommes trop droits, trop lacés, trop boutonnés, trop évidents. »
Il y a aussi Guy, Madeleine, Vincent… tour à tour victimes, bourreaux, spectateurs ou pions sur le damier.

Christelle Dabos a choisi de faire de son dernier opus un roman choral : à chaque chapitre son personnage, enfermé dans ses complexes, son sentiment d’impuissance et sa puberté galopante. Un réseau de voix intérieures tantôt silencieusement révoltées tantôt placides face au système. Chacune sa force et son phrasé, sa syntaxe, ses tics de langage, sa drôlerie aussi, qui apportent vraisemblance et densité aux personnages.

L’autrice laisse de côté la fantasy qui l’a menée au succès grâce aux quatre tomes de la série La passe-miroir pour s’essayer au réalisme magique : des forces obscures œuvrent dans les entrailles d’Ici qu’un club ultra-secret cherche à réveiller pour une guerre totale et régénératrice. Parmi les narrateurs, des Choisis investis d’étranges pouvoirs. Et une jeune prof, ancienne élève d’Ici, qui en connaît bien des rouages.

Devant cette représentation hyperbolique du monde scolaire, on est en droit de se demander si Christelle Dabos a vécu une scolarité heureuse et insouciante ! Jouant sur les contrastes, elle crée avec maestria un univers sombre et dangereux où la lumière pointe – heureusement - par quelques interstices. La musique, la lecture, le dessin sont autant d’échappatoires. Comme la force créatrice, celle qui donne du sens, qui aide à se construire et surtout qui rassemble. (Caroline Berger)