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Nos violences

Nos violences

Le nouveau roman de Marie Colot débute en pleine manifestation, à travers le regard de Lou, une jeune fille convertie en casseuse. Lou détruit les banques, les multinationales et l’ordre établi en s’attaquant aux CRS depuis qu’elle a perdu ses illusions devant un événement malheureux. Lorsqu’elle a en effet assisté impuissante au passage à tabac d’un couple de quinquagénaires inoffensifs par des policiers,...

Nos violences / Marie Colot
Actes Sud
62 p. - 2023. - 11,50 €  ISBN : 978-2-330-17716-4

Le nouveau roman de Marie Colot débute en pleine manifestation, à travers le regard de Lou, une jeune fille convertie en casseuse. Lou détruit les banques, les multinationales et l’ordre établi en s’attaquant aux CRS depuis qu’elle a perdu ses illusions devant un événement malheureux. Lorsqu’elle a en effet assisté impuissante au passage à tabac d’un couple de quinquagénaires inoffensifs par des policiers, la peur de la jeune femme s’est transformée en rage, une rage tellement puissante qu’elle est devenue casseuse pour tenir tout court.

Lors de ses différentes interventions dans les manifestations, Lou s’est fait un allié, Yannis. Ils ne savent rien l’un de l’autre, si ce n’est qu’ils se sentent plus forts ensemble et qu’ils sont liés par leur détermination et leur haine du système.

Dans Nos violences, Marie Colot a choisi de donner le point de vue d’une jeune fille chez qui on retrouve le meilleur comme le pire, le meilleur étant sa soif éperdue de justice, le pire sa haine viscérale et sans concession. Elle est arrivée à un stade prévisible de la détresse : lorsque les mots ne sont pas entendus et que le silence tue à petit feu, il ne reste plus que les coups pour se manifester. Lou est devenue une machine, bien plus tenace et efficace quand elle « caillasse les flics » sans se poser de questions.

Ces soi-disant sauveurs n’ont que le courage de frapper.
À la télé, ils prétendent exercer leur métier avec leur cœur et n’obtenir que de la haine en retour. Les pauvres choux. Ils souffrent du manque de considération et de moyens. C’est un job tellement éprouvant !
Ils l’ont choisi, bordel.
C’est trop tard pour se plaindre, et trop facile.
Qu’est-ce qu’ils croyaient, sérieux ?
Qu’on les acclamerait parce qu’ils protègent le système et piétinent les faibles ?
Qu’on les écouterait disculper leurs
collègues comme une fratrie de mafieux ?
« Bien sûr, il a été trop loin », « Il doit être sanctionné, mais il a été provoqué »,
« Il était sous pression. »
Des circonstances atténuantes pourries et des mots inaudibles.


Mais tout bascule à cause de ou grâce à un événement : Lou tombe inopinément sur un agent de police qu’elle connaît depuis son enfance. Leurs regards se croisent et un arrêt sur image s’opère dans la foule noyée par la fumée des gaz lacrymogènes. Un élément salvateur mais inconfortable s’insuffle alors en elle : le doute.

À travers ce récit qui offre le point de vue d’une casseuse, Marie Colot nous invite à nous interroger sur ce qui pousse des jeunes à haïr le système jusqu’à nuire à autrui. Face à ce genre d’histoire, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur une question récurrente en la matière : qui est vraiment violent/ coupable ? Le policier qui commet un excès de zèle ou celui qui dénonce l’injustice en lui opposant la même violence ? Lorsque les deux camps se renvoient la balle sans aucun sens de la nuance, tout est figé (d’un côté, « la racaille », de l’autre, « les enculés »), mais si l’on parvient à se mettre à la place de l’autre, à comprendre son humanité, sans pour autant excuser ses erreurs, tout n’est peut-être pas perdu. Lou y parviendra-t-elle ?

Les récits de la collection « D’une seule voix » dirigés par Jeanne Benameur chez Actes Sud jeunesse sont des textes courts écrits dans un style direct et incisif que l’on lit en un souffle, aidé par des retours à la ligne récurrents. Ils offrent une porte d’entrée aux jeunes lecteurs pour aborder des thèmes sensibles avec une puissance intéressante. Ce nouveau texte en est un bel exemple.

Face à Monsieur Vincent, moi, je ne suis pas fière de mes habits noirs.
La honte se faufile sous mes fringues, partout.
« Ce sont eux les coupables », on clame depuis des mois.
Une réponse simple, basique.
Trop unanime pour être exacte.
Oui, c’est clair, ils cherchent la merde.
Mais ils ne sont pas les seuls.
Un flingue à la ceinture, vaudrait-on mieux qu’eux ?
On le provoque.

(Séverine Radoux)

(Critique parue initialement dans le blog du Carnet et les Instants