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Le sourire d’Yvon Quokka

Le sourire d’Yvon Quokka

Il faut manger équilibré (cinq fruits et légumes par jour), faire du sport (au moins marcher ses dix mille pas quotidiens), mener une vie saine (sans excès), prendre soin de soi (physiquement et émotionnellement), être heureux (et toujours voir le bon côté des choses), voyager (c’est formateur), être performant (« toujours plus loin, plus fort, plus vite »), développer sa créativité (et son imagination, et son intuition, et…), sortir de sa zone de confort (et dépasser ses limites), innover (mais respecter les règles), être poli (et dire bonjour à la dame), etc...

Le sourire d’Yvon Quokka / Texte et illustrations de Sara Gréselle
Versant Sud
n.p. – 2023 . - 15,50 €   ISBN 978-2-9309-3873-8

Il faut manger équilibré (cinq fruits et légumes par jour), faire du sport (au moins marcher ses dix mille pas quotidiens), mener une vie saine (sans excès), prendre soin de soi (physiquement et émotionnellement), être heureux (et toujours voir le bon côté des choses), voyager (c’est formateur), être performant (« toujours plus loin, plus fort, plus vite »), développer sa créativité (et son imagination, et son intuition, et…), sortir de sa zone de confort (et dépasser ses limites), innover (mais respecter les règles), être poli (et dire bonjour à la dame), etc. Et il faut sourire, aussi, d’après ce qu’on répète aux personnes qui n’activent pas leurs zygomatiques : « Allez, fais pas cette tête-là, souris un peu ! »

Yvon a vu le jour dans une famille où le sourire est érigé en fierté. De la mère Marceline au père Hippolyte en passant par les grands-parents Jean-Pierre et Crinoline (et même l’arrière-grand-père Alfonso), tout le monde s’amuse, plaisante, rigole. C’est inscrit dans leur ADN, impossible d’y échapper : chez les Quokka, on rayonne de bonne humeur de génération en génération. Seulement voilà, Yvon, lui, depuis sa naissance, a les commissures des lèvres qui s’affaissent et tendent vers le bas. « Hyppolite et Marceline ont pourtant tout essayé. Les meilleures blagues, les costumes les plus rigolos, les chatouilles les plus chatouilleuses. Rien n’y fait. Yvon ne sourit pas. » Un véritable drame qui ébranle et démunit les membres du clan. Pour le carnaval de l’école (et l’apaisement des siens), le petit marsupial décide alors de se fabriquer un masque très, très spécial…

Cette histoire, mine de rien, pose des questions cruciales, qui peuvent remuer enfants comme adultes : comment trouver sa place dans un groupe (familial, amical, professionnel, etc.) lorsque l’on affiche (malgré soi) une différence ? comment réagir face aux injonctions extérieures quand elles ne correspondent pas à notre intériorité ? pourquoi se plier aux attentes des autres (ou pourquoi obliger les autres à se soumettre aux nôtres) et aux normes dictées par la société ? quel est le sens de cet « impératif de bonheur » , qui s’avère bien souvent pesant et engluant ? Sara Gréselle, avec intelligence et sensibilité, illustre dans Le sourire d’Yvon Quokka que, si le temps, l’espace et la liberté sont offerts, des graines discrètes auront l’occasion d’éclore en fleurs magnifiques. Et la beauté de cet album ne tient pas qu’à son propos : encore une fois, Sara Gréselle dessine, avec des crayons aux teintes chaudes et des traits sûrs (parfois précis, parfois légèrement crayonnés), des planches d’une poésie affirmée, d’une douceur renversante (la bouille d’Yvon et celle de son amie Isabelle Paresseux sont tout bonnement craquantes) et d’une technique remarquable. Un album qui met le sourire, un vrai sourire, aux lèvres… (Samia Hammami)

(critique parue initialement dans le blog Le Carnet et les Instants)