|

À hauteur d’enfant

À hauteur d’enfant

Pour le deuxième opus dans leur collection « Les carnets », les éditions CotCotCot, aussi dynamiques que fureteuses, ont ouvert leurs pages à un trio réjouissant : Almuneda Pano et Elisa Sartori (réunies dans le collectif 10ème Arte) aux palettes, et Lisette Lombé à l’encre. Ces artistes se rejoignent à bien des égards sur le plan de la création, notamment autour de trois aspects : elles réfléchissent le monde, se positionnent par rapport à lui (en plus de s’y inscrire), posent un regard personnel dessus...

À hauteur d’enfant / Texte de Lisette Lombé ; illustrations de 10ème ARTE 

CotCotCot

n.p. – 2023 . - 22 €   ISBN 978-2-9309-4149-3

Pour le deuxième opus dans leur collection « Les carnets », les éditions CotCotCot, aussi dynamiques que fureteuses, ont ouvert leurs pages à un trio réjouissant : Almuneda Pano et Elisa Sartori (réunies dans le collectif 10ème Arte) aux palettes, et Lisette Lombé à l’encre. Ces artistes se rejoignent à bien des égards sur le plan de la création, notamment autour de trois aspects : elles réfléchissent le monde, se positionnent par rapport à lui (en plus de s’y inscrire), posent un regard personnel dessus. Ce triple mouvement se manifeste lorsqu’on les lit et/ou les écoute, que l’on s’intéresse à leurs multiples explorations. Dans cette collaboration, elles se sont mises À hauteur d’enfant avec un à-propos encore une fois renouvelé.

Ce qui met en gaité et en curiosité de prime abord, c’est l’album dans sa matérialité, techniquement pensé dans ses moindres détails. Un format A4 aux coins arrondis ; une couverture orange (pour les amateurs, un « fedrigoni légèrement texturé ») avec quatre escargots noirs en léger relief ; des pages remplies d’illustrations comme pixellisées (toujours pour les connaisseurs, elles ont bénéficié d’une « impression intermédiaire riso ComColor ») ; quelques découpes internes générant des trompe-l’œil ; une police d’écriture en pointillés (la « gridlite PE ») ; une palette colorée mate et réduite (essentiellement du bleu, du blanc, du noir). Ces choix graphiques et imprimés confèrent au livre un aspect visuel impeccable.

Telle une ritournelle, le rythme du texte se cale une structure précise, sept fois répétée : trois réponses d’enfant, une question d’adulte. Une fois le mouvement inscrit, l’esprit ne peut d’ailleurs s’empêcher d’essayer de deviner l’objet de chaque interrogation. Néanmoins, plus encore que l’anticipation ludique, la disponibilité résonnante paraît une posture idéale pour s’imprégner de ces mots mesurés, comptés, pesés. Qu’est-ce qu’un enfant voit, respire, entend, goûte, touche, aime, espère là où l’adulte s’est restreint, déconnecté, résigné, oublié, perdu ? Avec autant de candeur que de brutalité, il observe et palpite en réception directe, sans filtre mentalisant, avec le monde qui l’entoure, contrairement à une « grande personne » qui se verra, malgré elle, comptant, masquant, jugeant, se bornant, s’impuissantant…

Lombé possède un talent ferme pour concevoir des phrases-cailloux, denses, qui ricochent sur nos intériorités. Et le langage de ses comparses de 10eme Arte, à l’unisson avec la voix de l’autrice, emporte aussi sûrement par un certain dépouillement – paradoxal car les pages sont bel et bien remplies d’une maison de poupées, d’un chat somnolant sur un divan, d’une maman-gâteau et d’un papa-câlin, de plantes, d’eaux et de ciels – qui invite au prolongement, au questionnement et à l’investissement personnels. « Les carnets », qui se veulent « terrain de recherche graphique et poétique », se font ici aussi espace de nostalgie et de brume poétique. (Samia Hammami)

(critique parue initialement dans le blog Le Carnet et les Instants)