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Lisières. Contes de petites filles dans la forêt

Lisières. Contes de petites filles dans la forêt

« La petite fille rêveuse est tête en l’air. / Elle voyage. / Dans sa tête. / Loin. Très loin. / La petite rêveuse se dit : / « Quand je serai grande, je découvrirai le monde. » / Mais là, elle est petite. / Dans la chambre, un tabouret. / Près de la fenêtre. / La tête entre les mains, la petite rêveuse regarde. / La forêt. / Juste là. / À la fenêtre. » C’est ainsi que s’ouvre l’histoire du « Petit chaperon rouge » sous la plume de Daniela Ginevro. Prendre le temps de donner une intériorité à un personnage que tout le monde connaît, évoquer ses aspirations et son rapport au monde, ...

Lisières. Contes de petites filles dans la forêt / Texte et illustrations de Daniela Ginevro        
Lansman ; collection Contes-Nouvelles-Récits-Témoignages
80 p. – 2023 . – 12€   ISBN : 978-2-8071-0391-7

« La petite fille rêveuse est tête en l’air. / Elle voyage. / Dans sa tête. / Loin. Très loin. / La petite rêveuse se dit : / « Quand je serai grande, je découvrirai le monde. » / Mais là, elle est petite. / Dans la chambre, un tabouret. / Près de la fenêtre. / La tête entre les mains, la petite rêveuse regarde. / La forêt. / Juste là. / À la fenêtre. » C’est ainsi que s’ouvre l’histoire du « Petit chaperon rouge » sous la plume de Daniela Ginevro. Prendre le temps de donner une intériorité à un personnage que tout le monde connaît, évoquer ses aspirations et son rapport au monde, dessiner en quelques mots denses sa personnalité avant de lui faire vivre l’aventure dont les contours sont familiers (grand-mère malade, panier rempli, loup gourmand), voilà la surprise et l’intelligence de la narration de ce conte. Immédiatement, l’espace familier se remplit d’une dimension supplémentaire. D’autant que les paroles comptées, mesurées créent des vides qu’il est loisir de s’approprier et de combler. La suite, on la sait… La forte insistance de la petite fille rêveuse ayant eu raison des réticences de sa maman fort occupée, la fillette enfile un jour son manteau de velours rouge et entame son premier voyage : « La petite rêveuse pose la main sur le cœur. / Pour l’empêcher de bondir hors de sa poitrine. / Elle fait un pas. / Vers la forêt. » L’émotion vibre et étouffe les recommandations maternelles, la joie ingénue assourdit les appels à la vigilance, et la mauvaise rencontre a lieu…

Dans « Hansel et Gretel », c’est une autre enfant, toute aussi menue, toute aussi obéissante, toute aussi dépourvue face au monde (le sien se limite aux murs de sa maison et à l’ombre rassurante de son frère). Si son bûcheron de père et sa belle-mère s’ingénient à les perdre dans la forêt, son frère, lui, prend soin d’elle, la protège. Jusqu’à un renversement des rôles inattendus, lorsque la sorcière de la maison au pain d’épice et aux confiseries l’oblige, à son insu, à dépasser ses peurs et à compter sur elle-même. L’orpheline des « Souliers rouges » enthousiasme par sa volonté, par sa joie, par son anticonformisme chevillé à son âme sauvage : « Sur la terre, elle marche pieds nus. / Dans les bois, elle court pieds nus. / Elle grimpe aux arbres les pieds nus. / C’est la petite fille aux pieds nus. » Et c’est parfait comme cela, elle n’ajustera pas ses pas à la danse conventionnelle qu’on veut la voir chorégraphier. La sage « Vassilissa », elle, avec douceur et finesse, attendrit la Baba Yaga, tandis que nul ne peut arrêter « Boucle-d’or », éprise de liberté, curieuse de toutes les manifestations de Dame Nature, épicurienne aux cheveux dorés : « Si une main venait se poser au sol, elle sentirait les vibrations de la terre. / Elle percevrait les sauts d’une petite fille. / Une petite fille à la chevelure de blé bondissante. / Fière et insaisissable. »

Dans chacune des histoires racontées par Daniela Ginevro, il y a des invariants : la forêt aussi magique qu’inquiétante comme lieu d’exploration et de dépassement de soi ; l’intuition – le « quelque chose à l’intérieur », le « pincement au cœur », « la sensation étrange qu’[on] ne comprend pas » – cette voix intime à laquelle il faudrait bien plus tendre l’oreille et qui se loge parfois dans un objet porte-bonheur ; du rouge, récurrent, couleur primaire du sang, du danger, de l’interdiction, mais aussi de la séduction, de la révolte et de la puissance ; une illustration en noir et blanc de la main de l’autrice à chaque entrée de conte, qui annonce en quelques traits l’atmosphère de ce qui va suivre… Lisières. Contes de petites filles dans la forêt offre de redécouvrir, à voix haute ou lecture silencieuse, des fillettes qui ont en elles déjà tout de grandes femmes… (Samia Hammami)

critique parue précédemment dans le blog du Carnet et les Instants